La sentinelle
Phénomène étrange que la grossesse …
Je ne pense pas être le plus « viril » des hommes, a priori. Pas du genre à exhiber mes gros muscles ou à risquer des balafres pour une cigarette refusée ou un regard de travers. Si vous caricaturez, vous pouvez dire que, parfois, je suis un peu une fiotte. (Mais sachez que je trouve ce langage particulièrement déplacé, et que je ne vous en félicite pas).
Bref, je disais donc qu’il ne faut pas tellement compter sur moi pour sauter les deux pieds joints dans la baston, je suis plutôt du genre à essayer d’éviter les conflits et les coups qui pourraient éventuellement en découdre.
Sauf … en ce moment. Depuis que ma femme est enceinte, je me sens comme investi d’une mission. A mon avis, il y a un gène qui se réveille à ce moment-là, plutôt du genre primaire, et qui dit un truc de genre :
« toi devoir protéger femelle, maintenant. toi devoir cesser d’être comme chevreuil effarouché devant grand mammouth ! »
Et ça marche !
Toute à l’heure, on était à la piscine. C’était mon idée : « tu vas voir, chérie, ça va te faire du bien » ! Sauf qu’il y a eu quelque chose comme 1200 glands dans mon genre qui avaient eu la même « bonne » idée, résultat, on était aussi serré que sur une plage en plein mois d’août. Côté rafraichissement, ok, côté sérénité, c’était franchement moyen.
Alors, j’ai enfilé mon costume de « men in black » du grand bassin. Bien sûr, avec les kilos en trop de la couvade, les cheveux mouillés et les yeux explosés à cause du chlore, c’était moyen en terme de crédibilité, mais j’ai quand même réussi à repousser quelques gosses qui étaient en train de sauter dans l’eau pas loin, et à dévier in extremis un ballon en plastique à la trajectoire dangereuse.
Une chose est sûre, c’est qu’en tant que garçon, on se sent investi d’une mission. Comme si les usages n’avaient finalement pas évolué, et que l’égalité homme/femme avait ses limites quand il s’agissait de foutre des coups de poings dans la gueule. C’est que ma chérie compte sur moi, aussi ! Depuis le début de la grossesse, elle avoue avoir peur des mouvement de foule, des bousculades, et d’une manière générale, des gens quand il sont trop nombreux autour d’elle. Alors, c’est mon rôle d’essayer de la protéger.
Moi aussi, d’ailleurs, j’ai peur. Par exemple, j’ai peur du blaireau qui a trois mois de permis, se prend pour Fernando Alonso parce qu’il pilote une Seat Ibiza. Le genre à « conduire » vitres ouvertes, lunettes de soleil par tous les temps et poignet cassé en haut du volant … Le genre surtout à changer un CD en plein rond-point, et à ne pas voir qu’il y a une femme enceinte qui traverse, juste après …
Donc à chaque fois, j’essaie de me mettre du côté de la voiture qui arrive quand on traverse, histoire de faire barrage de mon corps. Quel héros, n’est-ce pas ? Quelle abnégation ! Ouais, on peut dire ça … Sauf qu’en vrai, j’ai pas envie de rentrer dans l’histoire de la sécurité routière. Imaginez l’épitaphe …
« mort trop tôt sur un passage piéton. C’est con, on t’avait bien dit qu’il ne fallait pas toujours rester dans les clous. RIP »
Le seul avantage, ce serait éventuellement d’avoir un rond-point à mon nom.
Ce qui m’inquiète vraiment, c’est que si tout va bien, dans 71 jours, j’ai une petite qui va pointer le bout de son nez ! Et là, il va vraiment falloir se mettre à la testostérone, parce que la pression va pas s’en aller d’un coup, et elle va attendre que je la protège aussi, cette petite puce …