Entre père et fille – II
Reprenons.
Nous avions laissé notre héros, seul, aux prises avec un monstre de sa création. Il est temps de continuer à développer les trépidantes aventures du papa-qui-en-rajoute-a-peine-dans-son-quotidien-merveilleux.
Il est donc 9h30. Et malheureusement, la journée est loin d’être terminée, car Maman ne rentre pas avant le soir. C’est ainsi. Foutue société décadente qui permet aux gonzesses de s’affranchir de la juste position où elle est sagement restée des années.
Paraît qu’elles ont même le droit de porter un pantalon maintenant.
Bref : désormais livré à lui-même, le papa doit improviser.
Dans un premier temps, il choisit de réagir en homme de base.
Il a des séries TV à rattraper = bébé va dormir. Bébé DOIT dormir. Même si elle n’a pas sommeil. Elle va faire un effort. Si elle aime son papa. Et si elle veut un dessert.
Malheureusement, cet odieux chantage affectif ne fonctionne pas encore avec un gnome de 18 mois. Ces choses là sont quand même vachement égoïstes.
C’est moi qui vous le dit.
Résultat, le petit machin pète la forme et il faut se résoudre à l’habiller, et à se préparer à sortir. Tant qu’à faire, autant qu’elle profite, elle aussi, de la pollution parisienne.
Au bout de treize minutes, le bébé est prêt.
Au bout de quatorze minutes, une odeur suspecte émane de la couche. Bordel, mais pourquoi un bébé fait-il TOUJOURS ça au moment de partir ?
Finalement, on sort.
Et là, la question se pose. Poussette or not poussette ? C’est que si tu prends pas la poussette, c’est qu’il va falloir marcher avec la petite. Et ça, dans le genre pénible … C’est quand même pas de ma faute si elle avance que dalle !
Bon. Sauf que ta conscience te braille à l’oreille :
« Mais sérieusement, tu vas arrêter d’être débile ! Fais un effort. C’est ta fille, elle ne connaît ce monde que depuis un an et demi, elle est petite, innocente, et voilà que toi, tu voudrais qu’elle se déjà conforme au modèle ambiant, rentre dans la boucle des gens pressés et alimente à son tour le stress des grandes métropoles, anonyme pixel humain au milieu d’un flot intarissable d’âmes grisâtres. Réfléchis bien, connard, as-tu vraiment envie de lui donner des ulcères à son âge ? Regarde ses yeux, vierges encore ? Ils ne savent rien pour l’heure de l’injustice du monde, pour elle, l’horizon est infini, et toi, tu voudrais l’embarquer dans le rythme effréné d’une vie misérable, dont les fondations branlantes, bâties sur le sable de l’ignorance, se fissurent comme le temps passe pour ne plus être qu’un édifice en péril qu’on s’attache en vain à stabiliser, tout en sachant que c’est un combat perdu d’avance ? Vraiment ? «
Tu capitules avant qu’elle enchaine sur une autre logorrhée incompréhensible, et tu ne prends pas la poussette. T’es vraiment un faible.
Alors, c’est parti pour la grande ballade dans le quartier. Bienvenue dans le 18e arrondissement de Paris. Ici, vous avez une avenue. Là, un trottoir sale. Des boutiques chelou. Des voitures garées en double file. Des klaxons. Une bouche de métro grouillante, même en ce milieu de matinée. Un métissage unique, on entend parler toutes les langues, les cultures se côtoient, se rencontrent. Et toi, tu es là, avec ta fille, sa petite main dans la sienne, et tu marches. Enfin, tu marches. Disons que tu ferais sensation à côté d’un escargot, mais qu’en réalité, côté impression de vitesse, il faudra repasser.
Car un bébé qui apprend à marcher ne voit pas forcément les mêmes choses que toi.
Ça donne un truc du genre :
« oui, il est beau le mégot écrasé sur le trottoir. tiens, tu viens, on avance ? allez. non, c’est par là. bon, d’accord, par là. oui, il est beau. c’est toujours le même mégot. non, ne touche pas. viens, on essaie d’avancer un peu. regarde, il y a un chien ! tu as vu le chien ? mais lâche ce putain de mégot bordel ! allez, viens. voilà, on avance. c’est bien ma fille. regarde, tu as vu les arbres ? c’est rare à Paris, profite. mais … qu’est ce que tu mâches ? oh merde !! crache ce chewing-gum !! où est-ce que tu l’as ramassé ?? non ! nooooooon !!! »
Oui. Depuis qu’elle est née, « non » doit être le mot que tu as le plus prononcé …
Au bout d’une demie heure, tu as parcouru 250 mètres, évité une trottinette, deux chiens, une conasse ménopausée qui marchait trop vite, un petit vieux qui marchait trop lentement, tu as empêché ton bébé d’avaler trois chewing-gum sales et de ramasser tous les mégots qu’il trouvait, bref … il est temps de rentrer.
D’ailleurs, ça tombe bien : il pleut.
Tu bénis le ciel, et hop, tu charges le petit machin dans les bras. Oui, d’accord, ça te nique le dos, mais c’est plus rapide.
Et c’est là – précisément à cet instant – alors que tu remontes l’avenue en te pressant, serrant ton enfant dans ses bras, qu’il se met à meugler :
« MAAAAmaannn, maaamman …
mammmmaaann … MAAAAAMMMAAAAAN !!!! »
C’est pas de sa faute, ça fait pas longtemps qu’elle sait le dire. Alors, elle en profite.
Au début tu souris, fièrement, mais ensuite, tu commences à voir le regard soupçonneux des passants se poser sur toi. Ah ah …
Tu as envie de les rassurer :
« mais oui, c’est ma fille, elle est juste contente à l’idée de revoir sa maman – bonne journée madame »
Mais quand même, tu commences à flipper quand tu aperçois quelqu’un en train de composer le 112 sur son portable. D’ici peu, tu t’attends à voir ta gueule apparaître sur les panneaux alerte enlèvement. Tu commences à marcher beaucoup plus vite.
Au bout de quelques minutes, ouf : la porte de la maison. Tu rentres, essoufflé, rougeaud, les bras ankylosés par les crampes, tu es au sommet de ton sex-appeal.
Ta femme te croiserait maintenant, elle aurait du mal à imaginer se reproduire avec toi à nouveau.
Et le problème, c’est qu’il est à peine 11h00.
Il va falloir faire manger le monstre …
A suivre.
… et tu rêves de faire une sieste !
Ah ben tiens, le schtroumpf m’a fait le coup hier soir, au moment de le mettre dans la voiture, et j’ai réalisé alors que quelqu’un me regardait que si on venait à me demander des comptes, je n’ai rien pour prouver qu’il s’agit bien de mon fils, je me suis dit qu’il serait temps de faire faire sa carte d’identité…
Ah oui, effectivement. En revanche bon courage pour le faire tenir tranquille pour répondre aux nouvelles normes drastiques des photos officielles … On a du s’y reprendre à plusieurs fois 🙂